Législatives 2024 : «Après le sursaut démocratique, une Assemblée chaotique et un pays ingouvernable ?» (2024)

FIGAROVOX/TRIBUNE - La forte participation au premier tour des élections législatives témoigne d’un besoin de démocratie dans la France profonde, estime l’essayiste Maxime Tandonnet. Mais une aggravation de l'impuissance publique risque de succéder à ce scrutin, ajoute-t-il.

Maxime Tandonnet est essayiste et historien. Il a notamment publié « André Tardieu. L'incompris » (Perrin, 2019), récemment réédité dans la collection « Tempus » (poche).

Le premier enseignement à tirer du premier tour des élections législatives de 2024, c'est l'excellent taux de participation pour ce mode de scrutin. Avec 67% il dépasse de vingt points celui atteint en 2022! Historique, il faut remonter à 1978 pour obtenir un niveau de participation équivalent. La plupart des analyses de l'opinion française convergeaient jusqu'alors sur la conviction que la France se détournait de la politique et de la démocratie par écœurement ou désespérance.

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L'un des signes les plus inquiétants de ce repli était le sondage annuel de Cevipof sur la confiance des Français soulignant, année après année, que près de 90% des Français estimaient que «les politiques ne tiennent aucun compte de ce que pensent les gens comme eux» et dès lors, que voter était inutile. À l’issue des législatives de 2022, marquées par un taux d'abstention record de près de 54%, il semblait acquis une fois pour toutes que les Français tournaient le dos à l'élection législative qui, dans la tradition républicaine depuis 1870, avait toujours constitué le socle de la vie démocratique.

Or, bien au contraire, le retour aux urnes des Français, à l'occasion des législatives du 30 juin 2024 pourfend les idées reçues à cet égard et témoigne, à la stupeur générale, d'une authentique envie de démocratie qui renoue avec les grandes heures de la politique française. À cet égard, même si la dissolution décidée par le chef de l'État a pu s'interpréter comme une décision aventureuse à la veille des Jeux olympiques de Paris, elle répond de toute évidence à un besoin démocratique de la France profonde dont il est infiniment préférable qu'il s'exprime par la voie du bulletin de vote plutôt que dans la rue à l'image des mouvements des «gilets jaunes» en 2018.

Le pays est-il à la veille d'une vertigineuse déception qui ne ferait qu'aggraver en profondeur la crise de la démocratie? Le résultat des urnes tel qu'il semble devoir se profiler, une semaine à l'avance ne porte pas à l'optimisme.

Maxime Tandonnet

Cette réussite historique de l'élection législative sur le plan de la participationen 2024 soulève ainsi la question du modèle présidentiel français tel qu'il prévaut depuis les années 2000 et le quinquennat. Depuis lors, toutes les élections législatives se déroulaient dans un climat d'asservissem*nt total à l'élection présidentielle précédente. L'élection des députés ne servait plus qu'à entériner le résultat du scrutin présidentiel. L'élection du chef de l'État aboutissait ainsi à annihiler l'intérêt des législatives. Ce phénomène s'est manifesté en 2002, 2007, 2012, 2017 et 2022. D'où le désintérêt des Français pour l'élection d'une Assemblée, ressentie comme une simple annexe d'un président touche-à-tout et chef de la majorité de fait, à la place du premier ministre.

Ainsi, le succès de la participation aux élections législatives de 2024 est le résultat direct de sa déconnexion avec la présidentielle: les Français ont eu le sentiment en 2024, pour la première fois depuis 1997 (législatives dues à la dissolution décidée par Jacques Chirac), que l'élection des députés avait un authentique sens démocratique et représentait un enjeu pour le pays.

Alors, peut-on parler d'un renouveau démocratique ou d'une nouvelle chimère annonçant de cruelles désillusions pour les Français? Le pays est-il à la veille d'une vertigineuse déception qui ne ferait qu'aggraver en profondeur la crise de la démocratie? Le résultat des urnes tel qu'il semble devoir se profiler, une semaine à l'avance ne porte pas à l'optimisme. Sur le fond, ce résultat semble plus dominé par l'expression d'une colère qu'une véritable ambition tournée vers l'intérêt général. Le parti a priori vainqueur, le Rassemblement national, ne semble guère disposer d'un projet réaliste sur le plan financier, ni même régalien (à l'image de l'emblématique et explosive « abrogation du droit du sol» qui n'apporte aucune solution sur le plan de la maîtrise de l'immigration). Certes le procès en incompétence qui lui est fait paraît excessif – au regard des résultats obtenus par les diverses majorités depuis un demi-siècle. Cependant, de fait, il ne dispose ni de l'expérience ni d'une capacité à inspirer la confiance, sans lesquelles un bon gouvernement est inconcevable. Quant à l'ancienne Nupes, rebaptisée Nouveau Front Populaire, viscéralement déchirée sur l'antisionisme, engluée dans ses excès, un programme d'explosion vertigineuse des dépenses publiques et des impôts, elle n'offre pas davantage, à ce stade la moindre perspective crédible.

Après l'espoir démocratique lié à la réussite de cette élection législative, risque de succéder une aggravation de l'impuissance publique et grave déception.

Maxime Tandonnet

En vérité, par-delà le sursaut démocratique manifesté par les Français, le premier tour des législatives n'offre guère d'autre perspective qu'une Assemblée privée de majorité claire, ingouvernable, chaotique, toujours davantage dominée par le chahut braillard et stérile. La gauche réaliste et responsable, incarnée par quelques rares figures est décimée, en voie de disparition. La «droite classique» dite «de gouvernement» a été massacrée par une invraisemblable succession de trahisons de 2017 à ces derniers jours…

À cela s'ajoute le contexte financier, juridique et institutionnel, qui réduit considérablement les marges de manœuvre du pouvoir politique. Le pouvoir législatif est largement encadré par la jurisprudence prolifique du Conseil constitutionnel d'une part et le droit européen d'autre part.

Après l'espoir démocratique lié à la réussite de ces élections législatives, risque de succéder une aggravation de l'impuissance publique et grave déception. Sans doute faut-il s'attendre à une nouvelle vague de politique spectacle, de gesticulations narcissiques et autres brailleries polémiques et nihilistes dans un contexte de chaos et de violence. En tout état de cause, la question du modèle politique français est posée au regard du besoin de respiration démocratique qui s'est exprimé le 30 juin et dans une période extrêmement tourmentée, il serait de bon augure que les responsables politiques se réunissent, par-delà les clivages, pour se pencher sur sa réforme – ou sa refondation afin d'apporter au pays une réponse de fond sur le besoin de démocratie qu'il vient d'exprimer, pour commencer en pérennisant le principe d'une déconnexion des élections présidentielles et législatives, le retour au septennat et le recours au référendum.

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